top of page

Le bombardement de Couville le 11 novembre 1943

Discours prononcé le 11/11/2003 par Marc JOINEAU

 

          Le 11 novembre 1943 les Allemands occupaient la région depuis juin 1940.IL s’y étaient fortement implantés pensant envahir la Grande Bretagne. Mais leur défaite dans la bataille d’Angleterre leur fait renoncer à leur projet. Cependant des troupes séjournent et passent dans la commune. Les Couvillais s’étaient adaptés, beaucoup d’hommes étaient prisonniers, on avait repris de vieilles habitudes (on avait remis en marche les vieux four à pain). On vivait au rythme des réquisitions, la municipalité devait les organiser mais aussi désigner des otages pour les convois ferroviaires.

 

        Mais en juin 1943 les Allemands s’intéressent plus particulièrement à notre commune, à la gare au plateau situé près de « La lande ». Ils prennent possession de 10 hectares près de ce lieu dit. Une importante main d’œuvre envahi ce secteur.. Ces travailleurs viennent d’Afrique du nord et de toute l’Europe. Nos anciens se souviennent des Russes installés à saint LUC et qui dormaient dans des tranchées. (Pour la petite histoire Louis Amiot qui les a côtoyés m’a raconté qu’ils étaient convaincus que « Papa Staline viendrait les délivrer »).


          Les Couvillais sans savoir ce que la résistance et les alliés avaient découvert : c’est à dire que les Allemands préparaient un site de lancement de fusées continuaient à vaquer à leurs occupations. Il fallait bien rentrer les betteraves pour l’hiver. Ce matin là le ciel était clair, il avait blanc gelé, aucun d’entre eux ne s’attendait aux événements qu’ils allaient vivre malgré le mitraillage les semaines précédentes du petit train qui sur la route principale circulait pour alimenter le chantier.

 

          Les filles venaient de quitter l’école ( les garçons n’avaient pas classe) lorsqu’une première vague d’avions venant du sud-est arrive sur la commune. H Bourdon G Fossé voient les bombes s’en détacher. Les premières tombent près du village de la Perrelle, le carrefour du Caillou Pointu que venait de quitter l’Abbé Foliot est labouré, rails du petit train sont expédiés 300m plus loin, les deus sœurs Maurouard sont couchées par le souffle.

          La seconde vague touche plus précisément le chantier d’où les travailleurs ont du mal à fuir, car les Allemands ont installé des clôtures pour les empêcher de se ravitailler dans les fermes.

          En quelques minutes notre commune venait de recevoir 300 tonnes de bombes. Le bombardement s’est entendu à Cherbourg et même à la Haie du Puits paraît-il !

          La population est abasourdie, le sol a tremblé dans toute la commune. En dehors du chantier, Saint-Luc et la Beslière ont souffert : une fillette réfugiée a été tuée. Mais sur le site même nous ne saurons jamais quel fut le nombre de victimes. L’Abbé Folliot appelé par les Allemands est bouleversé par ce qu’il a vu, des dizaines voir des centaines de morts et de blessés (1). Mais les Allemands n’en reconnaîtront qu’une quinzaine.

         Des batteries de DCA sont installées dès le lendemain, le chantier est abandonné. De nouveaux raids de l’aviation font de nouvelles victimes (des réfugiés), de nouveaux dégâts aux habitations et jettent la panique parmi les jeunes russes encore présents.

Il est vrai que tous les événements de l’année 1944 ont peut-être un peu occulté cette tragédie. La population de Couville s’est longtemps demandé comment il n’y avait pas eu plus de victimes dans ses rangs ( bombes près des habitations, non explosée dans un berceau).

 

          Nous nous sommes sentis obligés en ce soixantième anniversaire de nous recueillir en mémoire de toutes ces personnes connues et inconnues qui sont mortes sur notre sol. Ces réfugiés, ces travailleurs français ou étrangers. A certains on avait fait miroiter un travail, beaucoup avaient été enrôlés de force, d’autres avaient était arrachés de force à leur pays sans autre raison qu’ils étaient considérés comme un peuple inférieur. Je crois que maintenant nous pouvons aussi avoir une pensée pour ces soldats allemands qui pour la plupart ont été entraînés dans des événements qui les dépassaient.

Nous n’oublierons pas que le 11 novembre 1943 des dizaines de personnes ont perdu la vie à Couville.

 

​

Liste de personnes décédées du fait des bombardements de novembre 1943 dont les noms nous sont connus travaillant sur le chantier:

Jules MARIE

Guérino ZANI

Raymond CORDRAY

Eugéne BOUTRAIS

 

Réfugiés dans la commune le 11 novembre:

Marguerite MALLET. (7ans)

Réfugiés dans la commune le 25 novembre

Léonie AUBIN

Colette AUBIN (6 ans).

​

(1) Dans le livre d'André Picquenot : Cherbourg sous l'occupation, page 81, il parle de 300 morts de ces travailleurs sur les sites de Flottemanville Hague et Couville.

​

Un retour émouvant sur le passé.

 

Quelques mois seulement après l’inauguration de stèle rappelant le bombardement du 11 novembre 1943. René BIHEL Maire de Couville recevait un courrier de Madame Marie UBERTI résidant en Lorraine qui recherchait la tombe de son frère décédé sur le chantier le 11 novembre 1943. Nous n’avons pas manqué de lui répondre et de l’informer que malheureusement il n’y avait aucune trace des personnes décédées lors de ces événements. Madame UBERTI souhaitait venir à Couville se recueillir sur les lieux de la disparition de son frère Guérino ZANI. Le 4 septembre dernier Mr le Maire et une délégation de Couvillais témoins du drame ou anciens combattants l’ont accueillie avec sa petite fille.

              Afin de se soustraire au STO Guérino ZANI était venu rejoindre son père qui travaillait sur les chantiers du Cotentin. Il a donc perdu la vie sous les bombes de cette sinistre journée alors que son père blessé est hospitalisé. Seuls son portefeuille avec des photographies est retrouvé sur les lieux. Ce ne sera qu’en 1957 que sa mort sera officielle.

Madame UBERTI s’est rendue sur les lieux du chantier de construction des rampes de V1,

Puis lors d’une simple mais émouvante cérémonie a déposé une gerbe à la stèle près de la mairie.

               Les instants émouvants n’étaient pas finis pour Madame UBERTI. Elle se souvenait qu’une famille GODEFROY agriculteurs dans le Cotentin avait aidé au ravitaillement de sa famille en Lorraine tandis qu’ils leurs envoyaient du sel. Son père lui avait raconté qu’il avait failli être surpris par la marée en pêchant les coques. Nous en avons conclu qu’il avait séjourné sur la côte est du Cotentin d’autant plus que le nom de la commune de Quinéville lui rappelait quelque chose. Après le départ de madame UBERTI nous avons vite découvert que son père avait séjourné à LESTRES et connu la famille GODEFROY exploitant à la Cour. Madame Uberti a pu prendre contact avec monsieur Raymond GODEFROY de Valognes dont les parents exploitaient la ferme en question durant la guerre et ils ont pu avoir de longues conversations téléphoniques. Nous regrettons cependant de ne pas avoir mené cette enquête plus rapidement car Madame UBERTI est descendue à l’hôtel à Valognes à 500 m de chez Monsieur GODEFROY.

​

La cérémonie qui a eu lieu le 11 novembre 2003 à la mémoire des victimes du bombardement allié a ravivé des souvenirs et suscité des réactions.

 

Il faut signaler avant toute chose que la famille de Jules MARIE qui a été tué le 11 novembre 1943 à Couville a participé à la cérémonie en déposant une gerbe prés de la plaque commémorative.

Sa fille Madame RAMBAUD Charlotte avait 14 ans, elle se souvient que son père à pris le car à Flamanville avec les autres ouvriers où la famille résidait dans les corons . Dans la journée les Flamanvillais ont vu les vagues d’avions passer en contournant le Cotentin, il ont entendu le bombardement. Le soir la famille s’est rendue compte que Mr Jules MARIE était absent, les autres ouvriers ont signalé qu’il avait disparu dans le bombardement. Contrairement à son habitude lors des alertes il semblerait qu’il ait tardé à fuir le chantier. Monsieur Jules MARIE avait 46 ans.

 

 

Madame LAISNEY demeurant actuellement à CANISY vivait avec ses parents à la ferme de la Chartreuserie. Elle n’avait que deux ans lors de ces événements, elle se souvient que toute la famille était réfugiée dans l’écurie avec les chevaux et que son père était parti récupérer le bétail qui s’était dispersé.

 

Monsieur André BIGNON domicilié à Carentan était chez ses parents hôteliers à la Gare le 11 novembre 1943, il a photographié la bombe tombée dans le berceau de Bernard LEPREVOST.

Il était présent aussi lors de la libération de COUVILLE, il a vu deux soldats américains tués sur notre commune l’un a été abattu par un tireur prés du pont de la Gare il se nommait Paul HARRISON l’autre a été tué à Talfaret. Mr BIGNON est allé signaler leur présence a une ambulance militaire mais elle ne s’intéressait qu’aux blessés.

 

Mademoiselle Céline MAUROUARD revenait de l’école avec sa sœur Arlette elles avaient 6 ans. Elles venaient de passer la Croix de Valtot quand les premières bombes tombèrent, elles furent projetées à terre et ne comprenaient pas du tout ce qui leur arrivait. Un Allemand qui était dans une cabane leur dit de le rejoindre, mais elles refusèrent et continuèrent leur chemin les genoux en sang vers la ferme de leur parents. Leur mère et un réfugié qui résidait chez eux vinrent à leur rencontre. Une bombe était tombée dans le champ bordant immédiatement la droite de la route.

 

Monsieur LEVILLY de Donville les Bains a écrit longuement à Monsieur le Maire, il a 71 ans et dit avoir vu ce bombardement de Quettehou dont il est originaire, il était spectateur d’un match de foot, et a vu un avion tomber en feu.

Monsieur Levilly est intervenu à la suite de l’émission de France Bleue et cite deux ouvrages de spécialiste celui de Régis Grenneville auquel j’ai fait allusion dans le bulletin spécial et celui de Roland Hautefeuille « Constructions spéciales V1 et V2 » dont j’ai aussi eu connaissance. Roland Hautefeuille a étudié les archives allemandes mais n’arrive pas non plus à déterminer la destination exacte du chantier de Couville site de lancement de V2 ou zone de stockage de V1. D’après Monsieur Levilly les deux tranchées existantes auraient dû être recouverte d’une épaisseur de 5 mètres de béton et l’intérieur approfondi .

Du 11 novembre au 21 janvier il est fait état de 9 attaques 452 tonnes de bombes ont été utilisées.

Le 11 novembre un avion est porté manquant et 43 ont été endommagés.

Extrait du journal de guerre du Général de la Luftwaffe détaché auprès de l’Oberbefehlshaber der Marine : « 11.11.43-Entre 12,05 et 13,20 heures environ 140 Bostons avec protection de chasseurs dans la région Cherbourg/Isigny , puis 2 formations supplémentaires de 40 appareils au total. Une autre formation de 90 Bostons et Maraudeurs survole la région d’Aurigny. En même temps attaque avec 300 bombes explosives contre un chantier près de Valognes ( en fait Wasseweek Cherbourg à Couville). Les baraques sont endommagées à 100%, le matériel de chantier à 60% et le chantier proprement dit à 30%, 2 soldats blessés, 25 civils tués. ». Par ailleurs les Allemands notent « 3 Allemands tués ». Il faut remarquer que nulle part il fait allusion aux personnes déportées des pays de l’ex URSS, étaient-elles comptabilisées.

Il faut savoir que les pertes parmi les prisonniers russes ne devaient pas donner lieu à des statistiques pour les Allemands car à partir du camp de concentration installé à Aurigny, ils installaient ces déportés sur des bateaux qu’ils coulaient au large.

 

Je pense que d’autres témoignages sur l’ensemble de la période 1939- 1945 peuvent être recueillis et publiés dans le prochain bulletin.

Il est nécessaire d’apporter une précision sur les lieux et leur dénomination :

Le chantier bombardé en 1943 est situé hors des chemins un peu à l’Est de la route de la Hague derrière le lieu dit «  La Maison Martin » ne pas confondre avec la gare de triage construite par les Américains à la limite de Sidevile et de Hardinvast près de la ferme de Chartreuserie et de celle du Pont aux Etiennes (actuellement détruite)

 

 

Marc JOINEAU

​

​

​

bottom of page