Enquête sur une querelle aux 17ème siècle:
l'affaire Guillaume Compère et Pierre du Tertre
Texte : François-Xavier BERTHIER
En 1680 l’Assemblée générale du clergé de France se tient à Saint Germain En Laye. Lors de la séance du 17 juin est porté à l'attention de l’assistance une affaire particulièrement grave : un prêtre de diocèse de Coutances implore la protection de l'Assemblée « pour se mettre à couvert d'une suite de violences et de persécutions inouïes qui lui sont faites par Pierre du Tertre, sieur de Belle-Fontaine domicilié dans sa paroisse ». Cette paroisse était celle de Couville...
Qui étaient les protagonistes de cette affaire ? En connaîtra t’-on un jour tous les ressorts ? L'enquête est en cours,en voici quelques éléments …
Couville sur la carte de Cassini (1758)
Membre de la petite noblesse et originaire de Benoisville, Pierre du Tertre, qualifié d'écuyer,était le fils de Pierre du Tertre, écuyer, seigneur du Val et Françoise Leneveu. Il épousa en vertu d'un contrat de mariage du 11 novembre 1664 demoiselle Suzanne Marguerite Simon, fille de Guillaume Simon, écuyer, sieur de Couville et de Suzanne Poirier. Ce Guillaume Simon est considéré comme le constructeur du château de Couville au milieu du XVIIème siècle.
Après la mort de son beau-père en 1676,qui n'eut pas de successeur mâle, Pierre du Tertre devint donc le « maître » de Couville. De son union avec Marguerite Simon naîtra leur seul enfant, Marguerite Gabrielle du Tertre, qui épousa en 1684 le gentilhomme verrier Louis Lucas, sieur de Saint-Luc, veuf de Françoise Des Rosiers. C'est la souche des Lucas de Couville qui ajoutèrent ce titre à leur nom quand Louis Lucas eut acheté en 1697 la fiefferme de Couville. Pierre du Tertre était certainement un gentilhomme verrier : il meurt à la glacerie royale de Tourlaville en 1689, son corps est inhumé dans l'église de Couville le 26 mai .
Selon l'abbé Tardif, Guillaume Compère serait né en 1632 et issu d'une famille couvillaise alliée au Messent, famille noble de la paroisse. Cette famille Compère résidait au Quesnay et les environs du moulin.Guillaume fut prêtre de Couville de 1661 à 1706 après avoir succédé à André Frimot qui démissionna de sa charge.Avant 1680 il fut nommé doyen rural des Pieux en raison de «sa conduite et sa capacité » par l'évêque de Coutances . Le doyenné des Pieux était une circonscription ecclésiastique qui comportait moins d'une trentaine de paroisses. Il était compris dans l’archidiaconé du Cotentin, un des quatre du diocèse de Coutances qui comprenaient en tout 22 doyennés regroupant 494 paroisses.. Le doyen servait d’intermédiaire entre l’autorité épiscopale et le clergé de son doyenné.
L'affaire qui nous intéresse oppose donc les personnages les plus éminents de la paroisse. Si nous ne connaissons pas à ce jour les motifs de leur querelle quelques sources nous fournissent certains éléments.
Lors de la séance de l'Assemblée générale du clergé du 17 juin 1680 sont invoquées les voies de faits, les excès et menaces dont fut victime le prêtre de Couville Guilaume Compère. L'on apprend qu'il poursuivit du Tertre devant le Parlement de Rouen et obtint par un arrêt du 28 août 1675 sa condamnation à mort par décapitation ! Mais le Parlement commua la peine en le condamnant aux galères perpétuelles. En 1676 sa peine est une fois de plus commuée en dix années de service dans les armées du Roi.
Loin de satisfaire à l’exécution des décisions de justice, Pierre du Tertre revint à Couville où il continua de provoquer le prêtre y compris durant l' inspection de l'archidiacre de Coutances ! Lors de la visite de 1679, l'écuyer ainsi que deux de ses domestiques se virent assignés, par l'archidiacre, un prêtre de Cherbourg afin de remplir leur devoir de fidèles chrétiens et en rendre compte au curé de la paroisse. Las des agissement de l'écuyer, Guillaume Compère s'adresse directement à Louis XIV et obtient une lettre de cachet permettant l'arrestation du trublion. Un arrêt du Conseil d’État du 10 décembre 1679 stipulait que Du Tertre devait être en janvier 1679 extrait de sa cellule pour être conduit au fort de Scarpe près de Douai afin d'y demeurer le temps de la commutation de sa peine. Une fois de plus Du Tertre ne satisfit pas aux obligations et une fois sorti de prison revint à Couville toujours aussi menaçant et insultant envers le doyen des Pieux...
Au stade de notre recherche les ressorts de cette violente querelle ne sont pas encore connus ni la manière dont elle fut résolue... Car elle le fut : un acte notarié du 23 mars 1689 (deux mois avant la mort de Du Tertre à Tourlaville) indique la présence lors de sa signature de nos deux protagonistes... L'on apprend d'ailleurs que Pierre du Tertre était civilement séparé de son épouse Marguerite Simon.
Affaire donc à suivre au fil des futures découvertes dans les dépôts d'archives...
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