top of page

Les projets de chemin de fer Diélette-Couville

Texte : François-Xavier BERTHIER

            Dès les années 1860  le Conseil Général de la Manche envisage la construction  d'une voie ferrée entre Couville et Diélette . Plusieurs études sont lancées mais aucune n'aboutira à la concrétisation du projet. Petite histoire d'un "serpent de mer" en Nord-Cotentin...

          Au XIXème siècle, Diélette est réputée pour l’extraction d'un granite de qualité qui s'exportait par bateau malgré l’exiguïté du port ou par train via le convoyage des blocs de pierre par voitures hippomobiles jusqu'à la gare de Couville sur la ligne Paris-Cherbourg , propriété   de la Compagnie des Chemins de fer de l'Ouest . La découverte et l'exploitation d'un gisement de minerai de fer au pied de ces falaises granitiques  incitent les autorités à s’intéresser à l'écoulement de cette matière stratégique.

          Dès 1864 le Conseil Général de la Manche abonde dans le sens de la construction d'un chemin de fer. L'objectif est de permettre l'acheminement, sans transbordement, du granite et du minerai de fer, de Diélette vers le réseau ferré national via  la gare de Couville. Plus globalement il s'agit de stimuler l'économie locale en ouvrant également un débouché  pour les denrées agricoles produites dans ce secteur.

 

          L’étude du projet est lancée en 1867 . L'ingénieur ordinaire Dubois souligne le double avantage de Couville : le trajet est direct et la dépense kilométrique pour terrassement et ouvrages d'art la moins couteuse. La ligne comprendrait deux gares, celle de Couville déjà existante (dite "gare de raccordement") et celle de Diélette à construire (gare terminus). Un arrêt est prévu à Benoistville pour les voyageurs se rendant des Pieux à Cherbourg. Le tout devait couter un peu plus de 1. 200.000 francs pour 16 kilomètres et 400 mètres de voie.

 

          Les vicissitudes de l’exploitation des mines de fer de Diélette les années suivantes mirent en sommeil le projet.

          Le 20 mai 1883 la Société des mines de fer de la Manche rachète les établissements de Diélette et demande la concession de la ligne étudiée en 1867.

 

          Dans l'avant projet (31 juillet 1883) l'ingénieur ordinaire rappelle combien "le chemin de fer de Couville à Dielette est destiné à rendre de grands services au point de vue de l'exploitation des richesses minières et des carrières de granite de Flamanville en même temps qu'il contribuera  à développer l’agriculture et le bien être des populations du canton des Pieux". L’ingénieur en chef quant à lui précise que la ligne "... a de la vitalité à la condition que l'exploitation des mines de Diélette prospère  et se développe ainsi  que celle des carrières de granite de Flamanville" (4 août 1883).        

 

Plan des aménagements de la gare de Couville d'après l’étude de 1867

Source : Archives départementales de la Manche / cote : 5 S Cherbourg 88

          Les trois stations du projet de 1867 sont maintenues. Mais le 24 août 1883 le Conseil Général émet le vœu qu'une gare soit ouverte au lieu dit Etanval dans la commune des Pieux afin que les communes maraichères environnantes  commerçant avec Paris envoient leurs productions sans  passer par la gare de Couville. Dans une lettre adressée au préfet le 5 septembre 1883, l'ingénieur en chef de la Tribonnière souligne la difficulté et le surcoût engendré par un tel changement et laisse l’appréciation au bon vouloir de la compagnie minière chargée du financement des travaux.

         D'une longueur de 15 km 700 la ligne traverse une partie de la commune de Couville en s’appuyant sur le contrefort sur lequel est bâtie l'église , franchit le ruisseau de l'Eau Blanchemain via un aqueduc.  Le parcours "... franchit encore et dans une tranchée de 7 m.  et vers la limite des communes de Couville, Briquebosc et Virandeville le faite qui sépare le vallon de l'Eau Blanchemain  du bassin de la Divette, suit le versant gauche de ce bassin et pénètre vers l'église de Sotteville dans celui de la Diélette qu'il suit jusqu'à la gare terminus" (Procès verbal de conférence mixte au 1er degré/ 31 décembre 1883/ Ingénieur Leroy, Archives départementales de la Manche / cote : 5 S Cherbourg 88).

        

 

 

 

 

 

 

         Pour le génie militaire,  la ligne serait préjudiciable à la défense et  si, ce chemin de fer devait se faire, il devrait aboutir non à Couville mais à Martinvast « pour la maintenir le plus longtemps possible à portée du canon des défenses extérieures de Cherbourg » En effet, en cas de débarquement ennemi réussi, l'accès permettrait à assaillant d'acheminer le matériel de guerre depuis Diélette jusqu'à la place de Cherbourg et/où de perturber les communications de la grande ligne ferroviaire de l'ouest.(Procès verbal de conférence mixte au 1er degré/ 31 décembre 1883/ Teyssandier Commandant Chef du Génie,Archives départementales de la Manche / cote : 5 S Cherbourg 88 ).

 

         Le cout était estimé à  2 120 000 francs soit près du double du projet de 1867... En janvier 1885 le Conseil Général rappelle que l'étude faite en 1883 n'a bénéficié d'aucune démarche de la part de la société des mines de Diélette pour solliciter la concession ...Le Conseil général renouvelle régulièrement sa volonté de voir promptement le projet de ligne exécuté. Dans une lettre du 16 janvier 1885 le président de la nouvelle société anonyme des mines de la Manche précise que l'entreprise ne perd pas de vue l'exécution du projet mais que les circonstances sont loin d'être favorables. Il rappelle  que le coût de l'étude de 1867 ne dépassait pas 1.200.000 francs alors que le nouvel avant projet dépasse les 2 000 000 de francs.

          Le journal L’Indépendant de Cherbourg dans son édition du 5 février 1888 estime que  la construction d'un port serait très onéreuse et concurrencerait Cherbourg. De plus l'article souligne le caractère difficile et dangereux de l'accès au port surtout l'hiver...

Parmi les solutions économiques :une ligne de tramway à vapeur de Dielette à Couville. Le 2 août de la même année le même journal rapporte que le Conseil d'arrondissement demande à ce que la ligne soit construite par une compagnie de chemin de fer si la compagnie des mines ne peut s'en charger...


           En 1891 la société des mines relance le projet. Elle demande la concession de la ligne comme chemin de fer d'intérêt local  assortie d’une demande de subvention au département d'un montant de 200 000 francs. Le conseil général valide cette demande et l'octroi de la subvention le 7 avril 1891.

         Finalement le cahier des charges retient un tracé partant de la station de Couville, sur une seule voie,  passant près des Pieux, à Benoistville et aboutissant à Diélette (soit un tracé de 16km 100 mètres). Au minimum trois trains doivent circuler quotidiennement dans les deux sens.


Tracé de la ligne Couville-Diélette d'après l’étude de 1883

Source : Archives départementales de la Manche / cote : 5 S Cherbourg 88

Les stations qui étaient à établir :

-Couville: gare de raccordement, voyageurs et marchandises

-Bricquebosc : halte, voyageurs, chiens et messagerie

-Benoistville : station, voyageurs et marchandises

-Tréauville : halte, voyageurs, chiens et messagerie

-Diélette : gare terminus, voyageurs et marchandises

 

Le chef du génie demande   que soit intercalé sur la ligne un viaduc de 30 mètres de longueur pour franchir le ruisseau de Blanchemain,   "les culées et les piles étant munies de dispositif de mines" afin de  détruire l'ouvrage en cas d'invasion.

La Société des Mines de la Manche est rachetée en 1907 par la Société des Mines et Carrières de Flamanville détenue à 84%  par l'allemand Fritz Thyssen.

Cette société va débuter d’énormes travaux d’aménagement : construction d’une centrale électrique et d’un transbordeur aérien  entre autres. Le 27 septembre 1914, la mine est mise sous séquestre en raison de la nationalité de son propriétaire et de sa proximité avec le port de Cherbourg .

                    En 1916, en pleine guerre, l’État relance le projet : deux options sont sur la table : un chemin de fer minier "sur les accotements des chemins"  reliant Diélette à Couville (19 km 700 m / coût estimé : 1 280 000 francs)  et l'autre reliant Diélette à Cherbourg (28 km 700/coût estimé : 1 870 000 francs).

Arrêté d'enquête d'utilité publique de la ligne Couville-Diélette (1892)

Source : Archives départementales de la Manche / cote : 5 S 105

La ligne Couville-Diélette traversant la commune de Couville  (1892)

Source : Archives départementales de la Manche / cote : 5 S Cherbourg 88

            Le dimanche 27 août 1916 une réunion à la mairie des Pieux débouche sur la création d'un comité pour la reprise de l'exploitation des mines de Diélette et la création "immédiate" d'un chemin de fer Diélette-Couville (Ouest-Eclair 31 août 1916, p. 5) .

               En 1917, le sénateur de la Manche Maurice Cabart Danneville tente de relancer l'exploitation de la mine et le  projet de voie ferroviaire en écrivant au ministre de la guerre. En plus du fer, la ligne Couville-Diélette permettrait, selon lui,d'écouler le granite de Flamanville, le kaolin des Pieux et "donnerait un essor nouveau à notre agriculture, à nos pêches" ( Impressions : projets, propositions, rapports... / Sénat , 20 juin 1918,p.14).

           Comme nous le savons aujourd'hui aucun projet  n'aboutira. En 1938, la Société minière envisage d’améliorer les installations présentes ou encore de relier la mine par un câble aérien à Couville puis acheminer, de là, le minerai à Cherbourg par la voie ferrée. La mine cesse définitivement son activité en 1962.

            Le seul chemin de fer qui fut établi à Diélette fut celui  entre le puits de la Cabotière et le port de Diélette, sur une longueur d’environ 1.700 mètres pour transporter le minerai de fer...  Quant à Couville, qui sait quel visage aurait aujourd'hui cette commune si la liaison tant souhaitée avait existé ?

bottom of page